Jean-Guilhen Queyras - student of Reine Flachot (student of Paul Bazelaire)
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Des informations complémentaires sur la carrière de J-G QUEYRAS intéressent le site BAZELAIRE.
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Comment êtes-vous devenu musicien ?
Je suis né au Canada, j’ai suivi ensuite mes parents au Maroc, à l’âge de cinq ans. Ils n’étaient pas musiciens, mais mélomanes acharnés. Je ne suis arrivé en France, à Forcalquier, qu’à l’âge de 8 ans. Et à l’âge de 9 ans, j’avais assisté à un concert de fin d’année de jeunes élèves et je suis tombé en arrêt devant un garçon de 11 ans, qui apprenait le violoncelle.
Cela m’a énormément marqué et j’ai décidé sur le champs de jouer du violoncelle, d’en faire mon métier. Dès le mois de septembre suivant, je suis entré au Conservatoire de Manosque. Et j’ai eu la chance de ma vie en trouvant un professeur exceptionnel, pédagogue hors pair, une perle, Claire Rabier. On ne dira jamais assez l’importance du premier professeur.
Deux ans plus tard, j’ai rencontré Reine Flachot, qui avait déjà 60 ans à l’époque ; il y a eu un déclic entre nous, elle était un peu ma grand-mère, elle m’appelait la ” petite crevette ” car j’avais tendance à gigoter beaucoup en jouant ! Pendant deux ans et parallèlement à Claire Rabier, elle m’a préparé à l’entrée au Conservatoire Supérieur de Lyon, qui venait d’ouvrir et où je suis finalement entré pour quatre ans.
Qu’est-ce qui vous a poussé ensuite vers l’Allemagne ?
Comme beaucoup d’étudiants en fin de cycle, j’étais alors un peu désemparé. Sur les conseils d’Alain Meunier, qui était professeur de musique de chambre à Lyon, je suis allé me perfectionner à Freiburg, en Allemagne. Alain Meunier m’a parlé d’un élève de Starker, Christoph Wenkel, dont l’enseignement m’a procuré une sorte de stabilité, une assise, alors que Claire Rabier m’avait donné une base saine, et Reine Flachot une envie folle de découvrir tout le répertoire.
Pour terminer, je suis allé voir Tim Eddy, un disciple de Casals et de Bernard Greenhouse, du Beaux-arts Trio ; il m’a appris l’approfondissement du discours et le sens de la rhétorique musicale. Je suis donc un étudiant au long cours, puisque j’ai commencé à 10 ans et j’ai terminé à 23 ans…
Je passe rapidement sur les concours internationaux. Car si j’ai décroché plusieurs prix (Meilleur jeune espoir au Concours Rostropovitch, Troisième Prix au Concours de Munich), le problème est qu’ils obligent à entrer dans un moule, inévitablement. Or mes préoccupations étaient l’inverse, je voulais découvrir une manière personnelle, une esthétique propre.
De là, comment avez-vous pu accéder à l’Ensemble Inter contemporain ?
J’ai eu la grande chance qu’un poste se libère, J’ai été pris sur concours et j’ai tout de suite commencé à y enseigner, ce qui est en fait une sorte de prolongation de ma formation. J’y suis resté dix ans et quelques mois. Une période extraordinaire. Naturellement, Pierre Boulez m’a beaucoup apporté. Je lui dois une exigence de rigueur, un côté extrêmement professionnel, au meilleur sens du terme ; aussi des conditions idéales pour travailler à fond les partitions.
L’Inter contemporain m’a permis de jouer dans les plus grandes salles du monde, m’a donné l’assurance qui me manquait, m’a également épargné de l’angoisse du lendemain, l’obsession de l’agenda bien rempli. J’ai bien sûr fait parallèlement des concerts en tant que soliste et en tant que chambriste, mais en ayant la possibilité précieuse de faire des choix.
Passer de l’Inter contemporain au Concerto Köln, ce n’est pas banal. D’où vient votre goût pour les instruments anciens ?
Étrangement, je suis venu assez tard aux instruments anciens et aux cordes en boyau alors que j’ai baigné dans ce domaine très tôt. Mes parents étaient vraiment des mélomanes avertis, et ils ont compté parmi les premiers aficionados de Nikolaus Harnoncourt. Ils avaient à la maison tous ses enregistrements dès les années soixante-dix. Ils achetaient ainsi chaque disque des cantates de Bach qui sortait.
J’ai donc toujours connu le son des instruments anciens, mais évidemment, ma formation s’en est écartée, tout simplement parce que dans le début des années quatre-vingt, l’enseignement en France n’y était pas propice. Reine Flachot par exemple connaissait très bien le répertoire contemporain, et j’ai moi-même joué les Strophes d’Henri Dutilleux dès l’âge de 16 ans, et son Concerto quand j’avais 17 ans.
Entre étudiants, on se passait les enregistrements d’Anner Bylsma, sous le manteau parce qu’on savait que cela n’était pas très bien vu… Plus tard, quand j’ai eu l’occasion de travailler avec Bylsma ou des clavecinistes comme Davitt Moroney, et bien sûr Concerto Köln, je l’ai tout de suite saisie.
Quel est la part de chaque répertoire dans votre carrière ?
Je dirais un gros tiers de répertoire romantique, un gros tiers aussi de musiques des XXe et maintenant XXIe siècle siècles, et encore un petit tiers de baroque. Les gens ne me contactent pas encore naturellement pour le baroque.
Votre récent concert au Châtelet est donc bien représentatif de vos engagements actuels…
Oui. La tournée que je viens de terminer avec Tabea Zimmermann et Pierre-Laurent Aimard résulte en fait d’un coup de cœur de nous trois pour Joseph Silverstein, l’un des derniers représentants de l’école juive américaine du violon. Tabea et moi avions déjà joué avec lui, Laurent de son côté également.
Nous avons été très touchés par ce jeu très intime, très intérieur. Pierre-Laurent et moi avons décidé de faire quelque chose avec lui, et Tabea s’y est associée tout de suite. Et cela a été une expérience extraordinaire, du genre qui vous fait grandir, parce qu’on est ici loin du projet marketing. Quand quatre personnes se choisissent mutuellement, surtout venant d’horizons très différents,
Pierre-Laurent et moi venant de l’Intercontemporain, Joseph ayant intégré au plus profond de lui un siècle d’interprétation, et Tabea bien sûr, une immense virtuose avec la présence lumineuse qu’on sait, cela veut dire qu’on peut aller très loin ensemble. Nous sommes tous restés fascinés par Joseph Silverstein, par toutes les choses non dites que l’on sent derrière ses notes.
Pour parachever votre éclectisme, vous venez d’achever un disque Magyar…
Pour ce projet, je dois vraiment remercier Eva Coutaz. Commercialement, ce n’était pas forcément une priorité pour Harmonia Mundi. Je lui ai montré que c’était le bon moment dans mon parcours artistique, et elle m’a suivi. J’ai grandi avec la Sonate de Veress, que j’ai apprise quand j’avais 14 ans : c’est sans doute la pièce la plus mûre dans mon répertoire.
Et puis, il y a eu la rencontre avec Kurtag, lors de sa résidence à Paris. J’ai travaillé avec lui ses propres pièces, bien sûr, mais j’ai tenu aussi à travailler la Sonate de Kodaly, parce que Kodaly est son ancêtre à lui, ils sont membres de la même culture. Chacun à sa manière naturellement.
Chez Kurtag, la tradition hongroise, cette force rythmique qu’on trouve dans toute la culture transylvanienne, sont, on pourrait dire, complètement digérées, elles ressortent de manière impulsive, extrêmement concentrée, sous formes très courtes. Chez Kodaly, c’est plus littéral ; il prend des thèmes et les intègre tels quels dans sa musique, génialement certes.
Pour les aspects plus rugueux, j’ai beaucoup appris avec le violoniste du groupe Muzikash. Je les ai rencontrés lors d’une soirée où nous jouions des extraits de quatuor de Bartok et eux, des pièces traditionnelles hongroises. Après le concert, nous avons dîné tous ensemble, et vers les deux heures du matin, j’ai sorti mon violoncelle et je leur ai demandé des conseils. J’ai joué toute la Sonate de Kodaly, et ils m’ont repris ensuite point par point au niveau rythmique, surtout dans le final, où je prenais par endroit trop de liberté, au détriment du rythme.
Ce qui m’a surtout frappé, c’est l’importance primordiale de la pulsation. Quel que soit le rubato, il est toujours intégré à une pulsation. Chez Kurtag, au contraire, la Sonate relevait bien plus du discours. Un peu avant cela, j’ai demandé à des amis hongrois à Budapest de m’emmener voir des danses folkloriques. Nous sommes allés dans les bas-fonds de la ville, expérience extraordinaire, avec des bâtiments complètement délabrés.
Nous avons vu un violoniste, un altiste et un contrebassiste, comme c’est presque toujours le cas là-bas pour une formation courante, avec d’énormes cordes en boyau. Il y a d’ailleurs en Transylvanie un instrument de percussion qui a la forme d’un violoncelle, que l’on joue à plat en tapant dessus avec un bâton ! C’est exactement ce que l’on retrouve dans la Sonate de Kodaly.
Revenons maintenant à vos projets, qui ne se limitent pas à Harmonia Mundi, n’est-ce pas
Harmonia Mundi est mon éditeur exclusif pour les récitals. Le projet Magyar n’a pas été, par exemple, facile à faire accepter, tout simplement parce qu’Harmonia Mundi avait déjà la Sonate de Kodaly en trois versions dans son catalogue. Mais quand Eva Coutaz a vu qu’autour de cette œuvre, il y avait une cohérence grâce à la présence de Kurtag et de Veress, elle m’a donné son accord.
J’ai en projet Tout un monde lointain d’Henri Dutilleux chez Arte Nova, que je viens d’enregistrer avec l’Orchestre de Bordeaux et Hans Graf, et surtout en présence du maître, qui n’a malheureusement pas pu rester à Bordeaux durant tout le projet.
Le 07/12/2001
Yutha TEP